TURQUIE • "Arméniens, pardonnez-nous !" : la pétition qui fait scandale
Depuis le 17 décembre, un texte signé d'intellectuels turcs et évoquant "la Grande Catastrophe subie par les Arméniens ottomans en 1915" suscite une vive polémique, qui dépasse les frontières turques.
Abdullah Gül, président de la république de Turquie
AFP
L'opinion publique turque est en ébullition. Depuis la publication sur Internet de la pétition intitulée "Arméniens, pardonnez-nous !" appelant à demander pardon pour "la Grande Catastrophe que les Arméniens ottomans ont subi en 1915", la société est divisée entre supporters et détracteurs de cette initiative d'un groupe d'intellectuels turcs, informe le quotidien russe Vremia Novostieï. En quelques jours, près de 20 000 personnes ont signé ce texte, en dépit des difficultés de connexion au site Internet dès le 18 décembre 2008, c'est-à-dire le lendemain du jour de lancement de la pétition.
Au risque de s'exposer à la colère des extrémistes et des milieux politiques turcs, Ahmet Insel, Baskin Oran, Cengiz Aktar, Ali Bayramoglu et près de 200 autres représentants de l'élite turque ont voulu exprimer leurs regrets pour cette "injustice" et partager "les sentiments et la douleur" de leurs "sœurs et frères arméniens" ; sans toutefois utiliser le mot "génocide" – interdit par le Code pénal – et sans préciser le nombre de victimes – estimées par les historiens arméniens à plus de 1,5 million.
L'initiative a suscité des protestations vigoureuses chez les politiciens et les diplomates turcs. Pour eux, la démarche est "une erreur contraire aux intérêts nationaux et irrespectueuse vis-à-vis de l'histoire du pays". Une contre-pétition intitulée "Nous ne nous excusons pas" circule d'ailleurs aussi sur le Net.
L'indignation est telle que, selon le quotidien azerbaïdjanais Zerkalo, le Parti républicain du peuple a exigé la création d'une commission chargée de déterminer l'origine ethnique d'Abdullah Gül, président de la république de Turquie. "Sa mère est arménienne. Mais peu importe qui il est et d'où il vient, car, en tout état de cause, il doit défendre les intérêts de notre pays. Il aurait dû déclarer au monde entier que la Turquie n'avait pas commis le 'génocide' des Arméniens", s'indigne un membre de ce parti.
En Azerbaïdjan, pays qui adhère à la thèse négationniste, qui est le principal allié de la Turquie dans la région et dont les relations avec l'Arménie sont empoisonnées par le conflit du Haut-Karabakh, l'inquiétude monte quant au réchauffement des relations arméno-turques engagées depuis septembre dernier. Dans le journal de Bakou, Echo, le politologue azéri Fikret Sadykhov fustige l'élite politique turque : cette dernière céderait "pour entrer dans l'Union européenne et résoudre certains problèmes corporatistes internes et externes".
A l'opposé, le trihebdomadaire arménien Golos Armenii salue l'initiative des intellectuels turcs : "La pétition montre que la limite ultime de la liberté de pensée en Turquie a été repoussée, ce qui était inimaginable il y a encore dix dans. Et nous leur exprimons notre respect. Cependant, cette action est destinée à frapper l'opinion publique mondiale, prête à se contenter de toute forme de 'dialogue' et de 'rapprochement' entre ennemis jurés, Turcs et Arméniens. Pour nous, les Arméniens, chaque mot compte. Et aux côtés des mots sincères sur l'équité et la compassion [dans la pétition], on trouve encore des mensonges qui nous éloignent de la vérité historique", notamment parce que le mot "génocide" a été évité.
L'historien arménien Rouben Safrastian, cité par Zerkalo, est néanmoins optimiste : "Certes cela se fait lentement, mais le peuple turc tente d'accéder à la vérité, pour se repentir et se purifier. L'essentiel est que le processus ait commencé." Et Echo de rapporter : "En 2009, la frontière arméno-turque pourrait s'ouvrir." Un premier pas concret vers une possible réconciliation ?
Alda Engoian
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